Louis Gilles Francoeur, Le Devoir, 29 avril 2011
Le Boisé des Hirondelles à Saint-Bruno fait l’objet d’un débat public houleux localement, mais il s’agit en réalité d’un véritable «cas type» qui devrait interpeller Québec en tout premier lieu puisque ce psycho-drame résulte essentiellement de l’absence de politique québécoise de conservation ou de protection de la biodiversité.
En 2004, deux citoyens de Saint-Bruno-de-Montarville, Michelle Régnier et Richard Taschereau, demandaient au Club Mount Bruno s’il voulait vendre le Boisé des Hirondelles, soit cinq ou six hectares de forêt adjacente au plus petit parc national du Québec, celui de Saint-Bruno. Mais c’est aussi le plus achalandé, avec 750 000 visiteurs par an… On leur a répondu que non.
Mais deux ans plus tard, le boisé était vendu. Le nouveau propriétaire et membre du club, le sénateur libéral, promoteur immobilier et de courses de chevaux Paul J. Massicotte, projette d’y réaliser un complexe immobilier de luxe exactement à la périphérie du parc national.
Les demandes d’information adressées par les citoyens à la Ville sont restées lettre morte: attendez que le projet soit prêt, répondait-on, ce qui veut généralement dire: vous l’apprendrez quand le conseil vous placera devant le fait accompli. Mais les citoyens de l’endroit sont tenaces, y compris le parti d’opposition. Dès 2006, la firme Enviro-Guide AL indiquait dans un survol du dossier, commandé par un citoyen, que la proximité du boisé avec le parc lui conférait une valeur potentiellement très importante puisque les mêmes espèces rares pouvaient s’y trouver. La firme suggérait même de demander au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) un moratoire sur tout projet à cet endroit.
La Ville devait élargir le débat et procéder à une étude de dix secteurs propices à des fins de conservation. Les auteurs, la firme Dimension Environnement, y concluent qu’on peut construire dans ce boisé à la limite du parc même si, dans les faits, il sert de zone tampon au parc de conservation.
Or, Dimension Environnement a déjà réalisé plusieurs mandats locaux pour les urbanistes de la firme Fahey & Ass., qui a réalisé elle-même plusieurs mandats pour des promoteurs immobiliers locaux, indique une communication de Michel Desgagné, responsable des communications pour le Parti montarvillois (opposition). Et Fahey & Ass. aurait aussi embauché en 2006 Dimension Environnement pour son client d’alors, le sénateur Massicotte, et sa propriété du Bois des Hirondelles. La Ville de Saint-Bruno aurait aussi pour sa part non seulement embauché Dimension Environnement pour savoir ce qu’il faut protéger dans le périmètre urbain, mais elle aurait embauché quelques mois plus tard un urbaniste-conseil, Bruno Bergeron, de la firme Fahey pour élaborer son nouveau plan d’urbanisme. Or cet urbaniste aurait aussi pour client le sénateur Massicotte.
Le maire de Saint-Bruno, Claude Benjamin, rétorque que ces décisions d’embauche ont été prises par des fonctionnaires indépendants — on croît rêver! — et dans le cadre d’appels d’offres en vue d’identifier le plus bas soumissionnaire. Argument fallacieux entre tous, car un appel d’offres devrait avoir comme première condition l’absence de conflit d’intérêts, réel ou apparent, question de crédibilité pour tout processus transparent. Le parti d’opposition a donc adressé une plainte à Québec, sans doute dans un sursaut d’idéalisme…
Le maire Benjamin devait aussi invoquer Canards illimités à l’appui des conclusions de Dimension Environnement. Mais Canards illimités a totalement démenti avoir accordé à ce dossier la moindre attention, et encore moins un appui!
Des chercheurs de l’UQAM et de l’Université Laval ont pour leur part récemment écrit au ministre Pierre Arcand, titulaire du MDDEP, et au ministre Laurent Lessard, des Affaires municipales, pour faire appel à leur sens des responsabilités dans cette affaire.
Construire des maisons à la limite d’un parc compromet, disent-ils, son intégrité et sa mission: cette zone tampon est essentielle, selon toutes les études sur la question, et une saine planification urbaine ne peut en faire fi. Le projet résidentiel dans le Boisé des Hirondelles participe, à leur avis, à une destruction des derniers boisés et milieux humides de la grande région de Montréal parce que dans ce cas, comme dans les autres, les gouvernements municipaux et québécois ont cédé leur mission de protection de la biodiversité aux promoteurs, spéculateurs et entrepreneurs privés.
«Dans un territoire aussi fragmenté et perturbé que la grande région métropolitaine de Montréal, chaque milieu humide et chaque boisé constituent une assurance supplémentaire de maintien de la biodiversité de la région pour les générations futures», écrivent ces chercheurs.
Espérons que la consultation publique, qui s’amorce la semaine prochaine sur le Plan de conservation des milieux naturels de Saint-Bruno, élargira la vision à long terme des élus de cette ville.
http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/322130/debat-local-d-interet-general